L’heure est venue Paname, mon vieux compagnon, vieux chat, pour toi de mourir si l’on en croit les statistiques qui ne font pas l’algèbre du bonheur. Mais ta tête repose doucement sur ma cuisse comme sur un oreiller de plumes d’oiseaux sauvages. L’on en voyait dans la grotte cathédrale des Buttes Chaumont, rappelle-toi. Tu n’étais alors qu’un bébé et c’était mon cœur au bout de la laisse, mon petit cœur que je promenais cinq heures par jour. Et comme nous étions fiers d’être l’un avec l’autre ! Lorsqu’il pleuvait, c’était le marché aux fleurs Secrétan, bien à l’abri. Il y avait dans notre cour le siège du Printemps de Bourges. Comme tu faisais l’admiration de tous ! D’un coup, par toi, j’existais. Non pas en tant qu’artiste, mais parce que tu étais si petit. Treize ans d’amour fou c’est pas des choses qu’on oublie, alors je te regarde dormir. Tu respires paisiblement, calé contre mon corps. Et un jour, toujours calé contre mon corps et rattrapé par les statistiques, tu auras cessé de respirer. Et j’aurai cessé d’aimer.
***
Ce matin-là je m’étais coupé les cheveux
Juste avant de voir ton masque mortuaire
Grimaçant gueule ouverte yeux ouverts
Ton souffle comme seule preuve de ta présence
Les stupéfiants a dit le vétérinaire en te caressant
S’il savait que tu l’aurais abattu d’un seul coup de patte
Toi l’âme de la forêt sauvage
Et te voilà tu n’es pas mort mais mes cheveux
Sont devenus blancs en une seule nuit
Tu as le secret de mes nuits étoilées
La rue illuminée le soir, le manège que tu regardes
Couché sur le balcon les bateaux
Je me mets au piano et nous glissons
Sur l’eau.
***
Tu vois aujourd’hui je couche par terre
Je ne suis qu’un animal
Petite âme qui vagabonde et s’éteint
Ne me pleure pas
Je t’aime
Vois aujourd’hui c’est moi qui couche par terre
Peau contre peau tu es plus qu’un animal
Petite âme petit ange qui s’éteint
Je t’en supplie ne meurs pas
Je t’aime
***
Je n’ai pas même touché le piano
Depuis deux longues semaines
Envolées les quatre heures par jour la liberté
Qu’on avait avec la musique sur la plage
Piano sur l’eau je te regarde glisser piano vers la mort
Toi mon petit ange petit chat aux paupières lourdes
On savait que ça arriverait un jour on disait un jour
C’est trop tôt cet amour de treize ans et pourtant
Ne pas oublier la gratitude envers l’Univers
Par le Dieu Pan c’est déjà infiniment
Tu pars serein et moi on m’arrache à ma vie.
Extraits de » Piano sur l’eau » Préface d’Éric Chassefière.
Editions Rafael de Surtis, 2021.
Plus d’infos :
https://www.rafaeldesurtis.fr/
CATHERINE ANDRIEU
Poète et peintre, elle vit en Charente-Maritime.
Plus d’infos : http://catherineandrieu.fr

