Je n’ai pas de région racines du béton du fer de l’acier de la fumée d’où je viens je suis attachée à l’intérieur je n’ai pas un lieu des lieux m’habitent racines des exodes racines des exils un peu de Haute-Savoie un peu de Bretagne herbes se faufilent entre deux dalles on vient de partout de la France et du monde tu grandis là mais ce n’est pas chez toi ton enfance c’est du vélo entre les voitures le goudron qui fume le RER le bus le train qui passent les mois d’août désertés tes racines dans ton appartement le refuge et la source des gens qui ne sortent plus les vallées sont sur les murs la mer dans les pensées dans le ciel du troisième étage ton tapis volant une feuille d’arbre Région Île-de-France les tropiques les Caraïbes les requins les étoiles de mer tu y nages comme un poisson dans l’eau
Bords de Seine
Papa je vais sur les quais 20h30 chips bières dans le sac à dos Argh papa sait les quais les pontons les embarcadères La Seine la mère d’une jeunesse orpheline de lycée dès la fin de l’après-midi jeunes regroupés y déambulent fument joints boivent bière lancent ballons dans l’eau plongent le chercher filles gloussent garçons torses nus Argh il sera un des leurs Argh le jumeau était là il est plus là 22h30 il est parti par le balcon deuxième étage il n’a plus de téléphone les garçons partis du nid papa tendu Argh papa se réveille toutes les heures 2h30 un garçon rentre 4h ça sonne à la porte le deuxième en claquettes chaussettes il avait sauté du balcon papa crie demande tu as mis ton réveil les cours à distance arf arf Argh Arf 18 ans en 2020 en face de l’île Seguin
L’enfant
J’ai pensé à cet enfant de trois ans qui un jour est venu me voir avec son feutre d’ardoise maîtresse il n’y a plus de batterie le même qui prenait les petites lattes de bois rectangulaires comme un petit téléphone ou une petite tablette il saisissait chaque extrémité dans ses doigts puis activait chaque pouce comme s’il appuyait sur des touches le même parle peu comprend peu le sens des mots et des autres J’y ai pensé quant à l’arrêt de bus sont arrivés un papa et son fils du même âge voir plus jeune pas de paroles l’enfant manipule le téléphone grand comme deux fois sa main bien mieux que son langage il connaît les icônes pour changer de vidéo avec dextérité il sait faire glisser ses doigts et tenir de son autre main le téléphone remontrer ou descendre le fil de l’écran
Extraits de « Banlieue Ville » avec des illustrations de Marjan. Éditions La Lucarne des Écrivains, 2020.
Passionnée de poésie et membre de la Société des Poètes Français, Parme Ceriset navigue entre Lyon et le Vercors où elle puise son inspiration. Elle publie des textes dans des revues de poésie dont le Capital des Mots, l’Ardent Pays, la revue Lichen, la revue Ressacs, la revue Francopolis rubrique Terra Incognita, la revue Cabaret (numéro hors-série Tour du monde), la revue Traction Brabant (numéros 88 et 90), la revue Bleu d’encre (numéro 43), la revue Florilège numéro 181, la revue Saraswati numéro 16, l’anthologie internationale Voix de femmes 2021 organisée par la plateforme littéraire Plimay et sur son blog « la plume Amazone ». Son recueil « N’oublie jamais la saveur de l’aube – Une Amazone contre la mort » a fait l’objet d’une chronique dans la Cause littéraire où elle est devenue depuis l’une des rédactrices. Elle a publié fin janvier 2021 le recueil « Le Souffle de l’âme sauvage – Libre comme louve » aux éditions du Lys bleu.
Libérant les dernières houles, toujours compromis par les regards et murmures, je me terre dans un horizon que je scrute, je vis l’horreur puis le ciel s’ouvrir, libérer l’espace de son insignifiante matière, libérer l’espace des propos sans intérêt pour une reconversion dans une source d’amour unique qui en tous affleure, ce ne fut qu’une direction parmi d’autres le dernier parcours le dernier miracle, je vis ton visage et tout se tut.
C’est alors que suintant le rêve je vis les traverses de l’infime et intime puis je t’aimais.
La folie a commencé une fin d’après-midi de printemps, alors que j’étais en train de réfléchir intensément depuis plusieurs heures, assise sur mon canapé-lit. Je cherchais une explication raisonnable à toute la succession de malheurs qui m’avaient frappée durant les quinze mois précédents. Mais ces réflexions raisonnables tournaient en rond ou se heurtaient à un mur, et ne menaient à aucune conclusion profitable, qui aurait pu me sortir de mon marasme.
Et puis ma pensée a pris des chemins de traverse jamais explorés jusque-là, des chemins insoupçonnés qui se sont brutalement ouverts devant moi. Comme si le mur contre lequel ma pensée cognait depuis des heures s’était soudainement effondré et que je voyais enfin la lumière de l’autre côté.
Sensation d’élargissement du monde mental.
Sensation physique de décollage après une longue période d’accablement.
L’idée d’un complot apparaît brusquement comme une révélation qui prend la place de toutes les réponses insatisfaisantes que j’avais trouvées jusque-là. Sensation d’avoir repoussé les limites de la pensée, d’avoir eu, jusque-là, une pensée bornée et mesquine qui se contentait de réponses sans envergure. Sensation d’avoir découvert une vérité, d’être entrée dans un monde nouveau où tout semble possible.
Quelque chose comme une ivresse qui donne envie de pousser l’aventure plus avant.
On ne pense pas à faire machine arrière.
***
Concerto pour flûte et harpe, 2è mouvement, Mozart -1778
Si les anges existent, et si certains d’entre eux sont musiciens, c’est probablement ce morceau qu’ils jouent. Mais ces anges ne se présentent pas comme des créatures inaccessibles qui vous jugeraient du haut de leurs sphères célestes, au contraire ils se mettent à votre portée, vous protègent et vous écoutent amicalement, tendrement.
Cette musique vous incite à aimer la vie terrestre et à accepter les choses telles qu’elles sont, sans vous plaindre, et avec une joie pleine de détachement. Elle incline la tête et vous montre la voie de la sagesse, qui est celle du repos de toute ambition et de tout désir.
Musique d’un Eden paisible, elle ignore la déchéance et la mort, puis déploie ses ailes pour nous survoler, dans la plénitude d’une transcendance souriante.
Extraits de » La portée de l’ombre » Editions Rafael de Surtis, 2020. Collection Pour un ciel désert.
Dans le salon du logis familial trônait le poste de T.S.F. Un imposant modèle à lampes carrossé de bois clair et de bakélite. La télévision, ce serait pour bien plus tard.
A l’heure du déjeuner, on écoutait des chansons et les dialogues de Sur le banc. Après les réclames et juste avant les Dernières nouvelles de demain éclatait le générique de Ca va bouillir ! Geneviève Tabouis lançait ensuite son célèbre : « Attendez-vous à savoir… ».
Le soir, on ne manquait pas le feuilleton La famille Duraton. On faisait l’obscurité pour nous croire dans une salle de spectacle. Sur la façade de l’appareil, une lampe mystérieuse s’allumait, dotant l’assistance comme le décor d’une aura verdâtre.
Œil magique,
Eclaires-tu vraiment de ta lumière verte :
Vatican, Vienne, Londres, Limoges,
Paris, Prague, Sottens, Monte Carlo,
Budapest, Maroc, Andorre et Luxembourg ?
Œil magique,
Que vois-tu à travers ta pupille verte ?
Nous dans la nuit,
Comme perdus, assis dans le salon,
Au milieu de l’univers.
***
Les Indiens
Entre les enfants, les combats firent longtemps rage. Les Crows contre les Sioux. Ceux qui s’écorchaient les genoux à la margelle du lavoir, là-bas, derrière la barrière, avant le rang de hêtres, dans cet autre pays perçu comme un trou bleu dans la nuit des feuilles. Cavale de métal et arc d’osier. Flèches de jonc sec. Pas de quartier. Et le soir, double ration de mercurochrome.
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Jungle
Pour se rendre à l’école, il fallait emprunter un long chemin de terre et de cailloux, une marche poussiéreuse que tempéraient des haies de chèvrefeuille grâce à la clarté sucrée de leurs fleurs blanches.
Pour nous retarder, à mi-route, à l’orée d’une clairière attendue, une barrière délabrée nous cédait le passage. Elle nous permettait de pénétrer dans une jungle de haut sainfoin, d’où jaillissaient des constellations de papillons.
Extraits de » L’élégance de l’oubli » Éditions Encres Vives. Collection Encres Blanches.
Bernard GRASSET, BRISE, Jacques André éditeur, coll. Poésie XXI, 2020, 44 p., 13 €
Dans la poésie de Bernard Grasset les mots se heurtent, se confortent, s’imbriquent avec violence parfois mais également avec une complicité entretenue par une véritable passion. Position de négation ou d’action selon le poète.
Lyrique de haut vol, Bernard Grasset grandit la proximité des mots grâce à leur seul assemblage situé à l’endroit exact qu’il a choisi afin de leur donner cette vérité qui ne supporte aucune faiblesse.
Cette tension, comme toute autre action, donne aux mots leur autonomie et donc leur force. Un simple énoncé parvient à créer une vérité poétique qu’il est hors de propos d’éviter.
L’érudition de Bernard Grasset se déploie ici avec une grande facilité et sa poésie en hérite toutes les richesses, toute les subtilités que l’on aimerait trouver chez d’autres créateurs.