Pierre Guérande

Revoir Honfleur

Pour Danielle Drory

Sur l’écritoire des corsaires

Brandir l’oriflamme du vent

Sur la proue des trois-mâts dociles

Graver l’initiale des mers

Sous l’encorbellement des arches

guigner l’alignement des hampes

en berne de la vague exquise

et des voilures sagittales

Loin des lagunes permissives

pour garder les saveurs du large

on pose un licou marital

autour des cabestans captifs

On porte au plus loin du vieux port

le carillon têtu des halles

le millésime des rambardes

avec leur tison sur nos lèvres

Au nom des dauphins bondissants

du phoque nouveau-né qui geint

on décuple l’empan du vertige

jusqu’à lisser la voix des eaux

On jette l’ancre du désir nomade

et range au grenier des saveurs

l’instant qui ne reviendra pas

ailleurs qu’en tes venelles fines

Honfleur

***

Cathédrale Saint- Corentin – Quimper

au R.P. Luc Moës

L’espacement parfait de deux tours accordées

la gothique élégance d’un cri lancéolé

pure ascèse penchée sur les splendeurs florales

sous la muraille grise en contre-chant des braises

forgées de vitrail mauve et de ciel absolu

Les regards éperdus dès le portail franchi

font une haie d’honneur aux gisants gaéliques

sous la prude insolence des orgues insoumises

comme ce sang breton contrarié des rias

et du bourdon sonnant l’angélus de la mer

De peu s’en faut qu’à l’aube on s’éternise

pour ne plus quitter l’or de ces quartiers bénis

tant le soleil y tient son rang d’envahisseur

applaudi des jambages de l’Odet fleuri

comme aucun autre arpent dont Dieu fasse mystère

PIERRE GUÉRANDE

Plus d’infos : https://maisondelapoesie.be/poetes-list/guerande-pierre/

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Khamylle-Abel Delalande

Je ne ressens rien / anesthésie / je dors éveillé // le soleil passe / il est tatoué sur

la peau des rues / sa brume éteint tous les gestes.

Je ne ressens rien / le soleil passe / il dort un peu / je suis tagué sur les murs /

mes gestes engourdis m’éveillent // le jour emplit mes pas / mélodie ténébreuse /

les rues soulèvent mon visage / je pleurs / larmes ensevelies / j’arrive au

cimetière / le corps est déjà là / invisibilité / sommeil éternel / il pleut sur les

âmes.

Je ne ressens rien / l’urne est posée sur le soleil / il dort un peu / anesthésie de

brume / le corps en cendres est là / évidence déchue / je profane les tombes

alentour / espoir timide / un jour les morts se relèveront / il pleut malgré tout /

âmes grises / des nuages viennent enclore l’heure / la nuit palpite sur le doigt des

ténèbres.

Je ne ressens rien / les graviers crissent sous les pas / le soleil bave sa lumière /

yeux rougis / visages illuminés de tristesse / les cœurs sont éclos dans le jardin

attenant / croix fermées / christs de pacotille / mausolées avalant la poussière /

par ici le sommeil vacille / fleurs fanées pour corps disparus / atomes convertis /

carnations du soleil / les pierres soupirent le long du cortège.

Je ne ressens rien / noir de rigueur / le deuil va à tout le monde / mort engluée

dans la peau / je pue la nostalgie // images d’enfance / sur la plage le défunt joue

à chercher mes pieds / le pas encore squelette me sourit / soleil évacué sous les

gravats et les feuillages / mer huileuse et sable sale / les souvenirs ternis meurent

dans la clarté.

Extrait du recueil « Une métropole dans ton regard »

***

Tous les voyages commencent par un oubli.

L’oubli. De l’idéal.

Et de l’itinéraire.

Cécité latente.

La vie n’a pas de cours.

Elle est. Un long canyon. Un méandre. Une faille craintive.

L’étreinte. De la pierre. Sous le fleuve des vents.

*

Tu es venue.

Limpide.

La liberté t’entourait les.

Hanches.

Tu avais. Dans les mains.

Une sécheresse. Infinie. Tu traversais.

Les airs. Comme.

Une lance aiguisée.

Noire. Tu savais. Que la vie provient.

Du cœur.

Ta terre. Le sable et l’eau mêlés.

Tu vivais. Face. Au ciel. Soleil humain.

Irradiant. Les autres.

Tes seins comme. Deux ombres.

Qui cachaient. La vérité.

Extraits du recueil « Le Cillement naufragé »

© Khamylle-Abel Delalande

KHAMYLLE-ABEL DELALANDE

Poète breton né à Dinard en 1981. Il fait ses études universitaires de Lettres à Rennes. Après quelques années d’enseignement sur Paris et la Bretagne, il se consacre aujourd’hui exclusivement à l’écriture. Il a publié plusieurs recueils dont La Traversée du non-lieu (2013), La Conjuration des Roses (2018), Sémantique de l’absence (2018). Il a été publié dernièrement dans les revues Le Capital des mots et La Page blanche.

Il anime aujourd’hui son blog d’artiste : khamylle-abel-delalande.over-blog.com

Yoann Lévêque

12

loin des silences, dans la foule

à la lueur sale des frairies

les doigts poisseux de sucre et d’ombre

je tiens ton émerveillement

par la main me laisse attendrir

par les lumières frelatées

et par les charmes bohémiens

j’y change ton silence en rire ;

ton air réjoui, tes douces mines

tournent dans un vieux carrousel

tournent tournent et m’éblouissent

je retrouve ton regard rieur

dans le regard de coton noir

que ta mère pose sur toi

fades couleurs, couleurs désuètes

tout resplendit dans ton oeil doux

et les lumières bohémiennes

étincellent dans tes silences

pour la dernière fois, peut-être

couleurs blessées, couleurs frivoles

quelque chose meurt dans tes yeux

quelque chose qui a trait à

ta bouleversante innocence

et les chevaux du carrousel

n’ont de cesse de t’éloigner

de moi ; tu te confonds avec

ma disparition prochaine

***

13

je disparais dans ton regard

tu me cherches, je suis ailleurs

tu me parles et je parais

tu ne comprends pas encore l’or

faux de mes jours de folie pure

je cherche à mieux comprendre l’or

pur de tes jours d’insouciance

j’aimerais boire à ton regard

les sciences de ton espérance

je traîne des jours durs et noirs

des jours meurtris, des jours de fièvre

ne cherche pas à les panser

on ne peut pas guérir une ombre

plongée dans la nuit de son cri

Extraits de  » pas blancs, allure rose » ( poème ) . Éditions Unicité, 2021.

YOANN LÉVÊQUE

Poète. Auteur de « Mots blancs pour l’enfant s’en venant « , Éditions Unicité, 2019.

Christophe Esnault

1/ ÉLECTROCUTION FESTIVE

Quand tu te sens plus mort que mort

Tords une pointe de fourchette

Et enfonce-la dans la prise

Tu croyais ton genou pourri

Tu sentiras bouger ton cadavre

Il dansera, frénétique, vivant

***

9 / OUVRIR LE GAZ POUR MIEUX RESPIRER

Tout le monde sait ouvrir le gaz

Tout le monde peut être heureux

***

14 / LE SUICIDE AFFECTIF

La peur de la solitude est extrêmement dommageable

Quand on connaît le non-sens d’une solitude à deux

Se mettre à la colle avec un(e) partenaire

Choix par dépit puisque relation moisie

Les mauvais mariages et tristes unions

De tous les suicides, ceux-là pires

Extraits de  » Aorte adorée » éditions Conspiration , collection La Poésie, 2022

CHRISTOPHE ESNAULT

Poète et parolier.

Plus d’infos : https://zone-critique.com/author/christophe-esnault/

https://www.sitaudis.fr/Poetes-contemporains/christophe-esnault.php

Grégory Rateau

Vous qui me dévisagez

comme le dernier des forcenés

sachez que je ne suis pas d’ici

chaque rue me coule dessus

alors je me glisse dans la première maison venue

déloge ses habitants

m’imagine vivre à leur place

j’apprivoise la normalité

prends des notes

les efface aussitôt

frappe à d’autres portes

me fais inviter dans les règles

et après quelques verres

la certitude de trop

jusqu’au désespoir

ma colère nichée en travers de la fenêtre

un réveil difficile

vidé de tout

même de mon amertume

incapable de me souvenir du jour

et de reprendre la route

***

La nuit je l’entends, attablé

se consumant à mon bureau

les touches craquent

il redouble de violence

je le sens

à la lueur fébrile de l’aube

essayer de gagner du temps sur moi

ses traits sont presque identiques aux miens

l’obscurité allonge un peu plus ses mains

mais son âme coule coule aux bouts de ses doigts

tandis que la mienne végète

pas un mot qui ne soit éprouvé

le manuscrit que je récupère au petit matin

est le testament d’un damné

Extraits de  » Imprécations nocturnes » éditions Conspiration, collection La poésie, 2022.

GRÉGORY RATEAU

Plus d’infos : https://fr.wikipedia.org/wiki/Gr%C3%A9gory_Rateau

Éric Dubois

Je n’ai toujours pas compris ce qu’il s’est passé cette fameuse nuit. Je regarde le plafond de ma chambre en espérant y trouver une réponse. Il y a quelques jours, je suis allé voir un médecin qui m’a dit que j’avais besoin de repos, et qui m’a donné quelques jours d’arrêt. J’ai dû rêver cette soirée d’étudiants ou alors on m’a drogué, on a pris mes clefs, on est entrés chez moi, et on m’a mis dans ce lit. Je n’ai pas vu Milena, et je ne m’explique pas son absence ni, pourquoi elle m’a invité. Hervé me dit que je suis en train de traverser une zone de turbulences, peut-être une dépression. Milena ne m’appelle pas, et je ne suis pas sûr qu’elle m’ait appelé un jour. Je doute même de son existence et de la véracité des faits.

***

Parfois la nuit, surtout dans Paris, je vois les spectres des écrivains et autres artistes, se balader le long des rues, insouciants et tranquilles, qui semblent nous regarder avec une certaine compassion ou pitié, avec le sentiment étrange d’une sensation pérenne. Mais nous vivons tous dans des rêves éveillés, n’est-ce pas ? J’ai erré, et ma divagation m’a conduit au café de la rencontre.

Extraits de  » Paris est une histoire d’amour » in  » Paris est une histoire d’amour  » suivi de  » Le complexe de l’écrivain » ( Récits) Éditions Unicité, 2022 .

Plus d’infos : https://www.editions-unicite.fr/auteurs/DUBOIS-Eric/paris-est-une-histoire-d-amour/index.php

ÉRIC DUBOIS

Eric Dubois est né en 1966 à Paris. Auteur de plusieurs ouvrages de poésie aux éditions Le Manuscrit, Encres Vives, Hélices, l’Harmattan, Publie.net, Unicité. Responsable de la revue de poésie en ligne et maison d’édition associative « Le Capital des Mots ». Blogueur : « Les tribulations d’Eric Dubois ». Il est aussi l’auteur d’un récit autobiographique «  L’homme qui entendait des voix » paru en 2019 aux éditions Unicité.

http://ericdubois.jimdosite.com

https://www.patreon.com/ericdubois66

http://ericdubois.over-blog.fr

http://le-capital-des-mots.over-blog.fr

http://lecapitaldesmots.fr

Françoise Van Herreweghe

INTÉRIEUR

Ta peau médium lisait l’intérieur de mes gestes,

Réseau funèbre qui tuait la folie de style et les accords

de jeunesse,

La peau chinoise riait sous couvert ses attraits délurés,

Nos vérités entraient dans le mélange des lumières

Paix qui se creuse au fond des ruelles,

Dans ses lisières repose le ciel noir en vasques d’acier,

Ses déroutes élastiques me faisaient perdre la douleur,

Couchée à l’aube de ses doigts en fuseaux

***

LA CHANSON ENCORE NOUVELLE

Tu me quittes et tu me reviens,

Déesse infidèle aux mille seins neigeux,

La mort vallonnée, ton oeil poussiéreux dormant

les sommeils,

Et qui bercent l’affreux rêve d’être oublié,

Ma conquête fabuleuse dort ainsi,

Et couchant mon buste, elle fait de mes restes,

Les seins, les épaules, le coeur et la tête,

Un corps aux banquets.

Extrait de  » HOPUS FOCUS  » Éditions Unicité, 2022

Plus d’infos : https://www.editions-unicite.fr/auteurs/VAN-HERREWEGHE-Francoise/opus-focus/index.php

FRANÇOISE VAN HERREWEGHE

Poétesse.

Jennifer Grousselas

Extraits de Arborescences in De souffles et d’éveils, poésie. Préface d’Emmanuel Moses. Éditions Unicité, 2021.

Plus d’infos : http://www.editions-unicite.fr/auteurs/GROUSSELAS-Jennifer/de-souffles-et-d-eveils/index.php

JENNIFER GROUSSELAS

Plus d’infos : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jennifer_Grousselas

https://editions-corlevour.com/project/grousselas-jennifer/

Milena Burjeva

Je regarde mon corps

comme une richesse future de macchabée.

Mes mains sont pures de perdition

et même glissantes.

Je n’aime que les chats

parce qu’ils voient

une chose propre à eux

qui me fait peur.

Traduit du bulgare par Anélia Veléva

***

Dans le paisible chuchotement humain

dans les sourires des mendiants

dormants sur les bancs …

Je découvre la solitude

et je m’éprends du matin

au visage d’un inconnu.

Je me fie aux châtaigniers en fleurs

bien qu’ils incarnent

la plaisanterie d’un piète optimiste

qui les a peints

sous la forme de pierres précieuses

dans un musée aux murs croulants.

Traduit du bulgare par Païssy Hristov

Extraits de Don d’entendre. Traduit du bulgare par Anélia Veléva et Païssy Hristov. Éditions du Cygne, 2021. Collection Poésie du monde ( Bulgarie )

MILENA BURJEVA

Poétesse bulgare.

Plus d’infos :

http://le-capital-des-mots.over-blog.fr/2017/08/le-capital-des-mots-milena-bourjeva.html